Debout les morts, on change de cimetière » penelope n.

Le chant de la mer s’élevait dans les airs, le roulement des vagues sur la grève de galets était un brouhaha constant et magique. Embruns et rafales secouaient en tous sens la végétation locale avec vigueur et acharnement sans rien parvenir à coucher durablement. Comme si les herbes hautes se tordaient avec insolence pour montrer leur dissidence, leur volonté indomptable. A cela venait s’ajouter le ballet aérien des oiseaux de mer qui se laissaient planer, donnant quelques coups d’ailes pour changer de direction ou garder le cap.

Assis sur le rebord d’un muret fatigué par le temps, un homme tout aussi fatigué observait le paysage avec une forme de tristesse dans le regard. Ses deux mains noueuses posées sur une simple canne en bois de noyer, il jouait parfois à décroiser ses doigts avant de les joindre à nouveau. Il semblant attendre quelque chose tandis que son attention se perdait sur le lointain, là où la grande bleue et le ciel paraissaient ne plus faire qu’un. Pourtant il savait que de l’autre côté de la Manche se trouvait le continent, une silhouette frêle, presque invisible qu’il était parfois possible de discerner les jours de beau temps. La voile blanche d’un voilier de plaisance apparu au détour d’une falaise, voguant sur les flots sans paraître lutter contre le courant. Il était si minuscule dans le lointain, tel une coquille de noix, néanmoins il était dans son élément et domptait les vagues sans crainte.

Derrière l’homme assis sur le muret, un cottage en pierres aux allures de maison de vacances. Cependant, lorsque l’on y regardait de plus près, on pouvait voir qu’il était abîmé, usé comme son propriétaire sans avoir perdu son charme britannique pour autant. Une jolie demeure pour y finir ses jours, dans la tranquillité et la quiétude, sans craindre de voir débarquer quiconque voudrait l’importuner. II n’y avait que lui et la nature dans toutes sa splendeur. Hélas, cette paix n’était pas faite pour durer, l’homme semblait le savoir, l’attendre sans la moindre envie.

Finalement, il entendit des pas sur le petit sentier qui allait de la maison à la grève. Pendant un instant il fit mine de ne pas avoir entendu avant de finalement se retourner. Un sourire s’esquissa aux coins de ses lèvres sans savoir s’il était ravi ou non de la visite de cet intrus.

- J’avais espéré que le Ministère m’aurait oublié depuis le temps, dit-il à l’adresse de ce nouvel interlocuteur. Force est de constater que ce n’est malheureusement pas le cas.

Le regard plongé dans le vide, son esprit était sensiblement ailleurs depuis quelques secondes déjà. Un millier de pensées lui traversaient la tête tandis que les notes de papier volaient au-dessus de sa tête. La blonde s’était perdue dans ses réflexions à force de méditer sur la situation présente. C’était sans doute l’enquête la plus étrange que son bureau ait eu à mener depuis l’époque du Mage Noir. Non, à dire vrai c’était La plus étrange de mémoire de sorcier. Un tel cas n’avait jamais été observé jusqu’à ce jour. Le chef du bureau des Aurors restait perplexe. Ses yeux se mirent à papillonner, attestant de son retour dans le monde réel, sur son bureau de la paperasse à ne plus savoir quoi en faire. A force de remuer la poussière des vieux dossiers, elle en était venue à consulter ceux qui avaient été classés après la chute de Voldemort. Parmi la multitude des mangemorts qui avaient été jugé, l’un d’entre eux avait attiré son attention. Charles St-John, un cracmol qui n’avait jamais eu la moindre proximité avec le seigneur des ténèbres et qui avait pourtant eu le droit de passer devant le magenmagot dans les années 80. A mesure de sa lecture, elle avait découvert un personnage rude mais intéressant et plus encore… Il avait étudié la Mort. A la suite de quoi il avait été sommé d’arrêter ses recherches avant de disparaître.

Son instinct lui murmurait secrètement que ce personnage pourrait très certainement lui être utile, autant pour percer à jour le personnage de Salazar que pour comprendre le mystère qui recouvrait les résurrections des sorciers de Grande Bretagne et peut-être d’ailleurs. Peut-être avait-il les clés pour comprendre ce qui était entrain de se passer. Il fallait le retrouver.

Après avoir revêtu sa cape bleue, elle avait quitté son bureau et le Ministère pour affaire. Tout du moins c’était le prétexte qu’elle avait trouvé pour s’éclipser sans que quiconque ait à lui poser de questions. Elle avait toujours détesté les questions. Ainsi donc sa première investigation l’avait mené sur la côte Sud de l’Angleterre, à Brighton là où l’homme était né. Ses pas la menèrent jusqu’à un petit cottage reclus sur le bord de mer. Le vent venait fouetter son visage, mettant à mal sa coiffure car déjà des mèches blondes flottaient dans tous les sens. Qu’importe, ce n’était pas ça lui allait la faire fuir. Déjà elle franchissait le petit portail blanc à la peinture écaillée. Son regard se balada sur l’intérieur de la maison mais il semblait qu’il n’y avait personne à l’intérieur. La sorcière en fit le tour pour se retrouver dans un jardin qui donnait sur la grève de galet, la séparation se faisant par un petit muret. Sur ce dernier se dessinait une silhouette quelque peu voûtée.

D’une démarche féline, elle prit le petit sentier qui semblait mener jusqu’à la mer. A mesure qu’elle s’approchait de l’homme elle commençait à apercevoir la carrure du personnage et ce jusqu’à ce qu’il se retourne enfin vers elle. Il avait le visage marqué par le temps comme n’importe quel moldu. Quel âge pouvait-il bien avoir ? Il y avait quelque chose de triste et sombre dans son regard, des ténèbres enfermés dans la cage de ses prunelles. La sorcière à la chevelure blonde s’arrêta pour l’observer tandis qu’il était le premier à entamer la conversation. Voilà quelqu’un de bien déroutant, comme s’il avait attendu cette rencontre.

- Soyez ravis, vous avez déjà évité Azkaban, répondit-elle avec mordant. Contrairement à certain vous avez connu une vingtaine d’années sans voir planer l’ombre d’un détraqueur au dessus de votre tête.

Son sourire s’effaça presque aussitôt lorsque la sorcière prit la parole. Tss pitié qu’on ne lui rappel pas cette sombre époque où il avait été jugé comme un paria alors même qu’il n’appartenait plus à ce monde arrogant et autocentré. L’homme la toisa du regard, donnait l’impression qu’il allait lui aboyer dessus tant il ne se faisait pas le plus aimable.

- Qu’est-ce qu’ils espèrent d’un vieux croulant comme moi ? Demanda-t-il en détournant le regard de la femme.

L’homme contemplait à nouveau l’horizon avec l’envie de partir, loin. A cet instant il aurait bien aimé se faire marin et partir affronter les océans, revivre la belle époque où il voguait sur le Pacifique pour s’en aller découvrir les peuplades des îles. Malheureusement le temps avait passé et il y avait fort à parier qu’il n’avait plus du tout le pied marin.

Les mains toujours posées sur sa canne, le dos légèrement voûté, il poussa un soupire qui s’envola dans le vent. Vingt ans étaient passé comme une lettre à la Poste, celle des moldus, par celle avec ces maudits hiboux qui vous chiaient partout. Ça et leurs maudites plumes à la con…

Il ne savait pas à quoi s’attendre. Des excuses ? Le Magenmagot ne lui en ferait jamais, c’était une certitude. Une carrière ruinée, une vie de famille qui avait volé en éclat… Voilà tout ce qu’il avait récolté grâce à son jugement. Sir Ostwald devait être entrain de rire dans sa tombe et lorsqu’il pleuvait, c’était sans doute lui qui lui pissait dessus depuis le ciel.

Le chant marin des reflux se faisait sans la moindre interruption tandis que les oiseaux de mer planaient au gré des vents. Le regarde de la sorcière avait fini par se poser sur cet horizon infini dont on parvenait pourtant à sentir les contours. Loin du tumulte de Londres et plus loin encore de celui du Ministère de la Magie, le chef du bureau des Aurors était ravis de pouvoir aller sur le terrain. Quelques pas encore, mains jointes devant elle, la blonde avait fini par se retrouver au niveau de la cassure du muret qui donnait directement sur un escalier à pique. Les deux antagonistes regardaient dans la même direction, pour des raisons différentes.

- Ce n’est pas le Ministère, c’est moi seule qui suis venue vous trouver, répondit-elle finalement.

Néanmoins elle se garda bien d’enchaîner directement sur la raison de sa venue, sur le cheminement qu’elle avait fait pour en remonter jusqu’à ce cracmol. Au premier abord, son dossier lui avait paru assez insignifiant. Pourtant elle s’était interrogée, pourquoi le Magenmagot s’était intéressé à lui à l’époque du Mage Noir, qu’est-ce que la justice magique avait à faire d’un homme qui avait quitté le monde des sorciers pour celui des moldus ? Il s’était dévoué corps et âme pour ses recherches. Alors elle avait persisté, fouillé encore, jusqu’à découvrir que cela portait sur la Mort à travers bien des civilisations autour du monde. Nombreux étaient les moldus qui s’étaient intéressés à ce sujet, mais peu étaient ceux qui avaient attaqué cela avec l’angle de la magie, un angle que ce cracmol était le seul à avoir.

Lentement elle tourna la tête vers lui, posant son regard sur la silhouette de cet homme cassé par le temps. Il devait être certain qu’il avait toujours eu mauvais caractère, mais ses différentes mésaventures n’avaient sans doute pas aidé. Toutefois, il devait avoir garder avec lui fierté et orgueil, aussi la sorcière n’irait pas le prendre en pitié, c’était un coup à le voir se refermer comme une huître.

- Je sais ce que le Ministère vous à fait, mais je ne peux pas m’excuser pour lui, nous savons tous les deux que la justice magique est rarement prompte à se répandre en réparation et regrets, finit-elle par ajouter.

Et il était certain qu’elle n’était pas non plus là pour courber l’échine devant lui, ce n’était pas dans sa nature et surtout elle n’avait pas le temps pour ça.

- Je suis là pour vos recherches.

Si Charles avait eu une mine renfrognée et hostile à l’adresse de la sorcière, les quelques mots qu’elle avait prononcé par la suite était pour le radoucir quelque peu. Pas jusqu’à le faire sourire comme un idiot, mais davantage à lui donner un air un peu plus triste. Le vieux bougon avait baissé les armes sans savoir s’il avait bien fait, sans doute parce qu’il était lasse d’ériger des remparts entre lui et le reste du monde des vivants. Cela ne voulait pas dire pour autant qu’il accordait pleinement sa confiance à la sorcière, après tout elle travaillait quand-même pour le ministère… Elle était là pour ses recherches… Ces mêmes recherches qui lui avaient fallu un tour devant le Magenmagot des années plus tôt. Un pincement vint le saisir au cœur, le jugement avait été une épreuve pour lui à l’époque.

- Alors vous devez savoir qu’ils m’ont forcé à les abandonner et qu’ils m’ont tout pris, répondit le cracmol en laissant son regard se perdre sur l’horizon. Je pense qu’une sorcière comme vous devrait parvenir à mettre la main dessus, si elles n’ont pas été détruite depuis le temps.

Charles doutait que le ministère ait fait disparaître des années de travail, non ils devaient avoir tout mis sous clé dans un lieu caché, dans un recoin oublié du département des mystères. Oui, c’était beaucoup plus probable. Sans doute se croyaient-ils trop intelligents et intouchables pour penser qu’un jour où pourrait vouloir s’intéresser à leur petit business. L’homme n’avait ni l’envie ni les ressources pour s’en prendre à eux. Après tout il avait préféré disparaître dans un petit cottage loin de tout ça.

- Mais… la curiosité me pousse à vous demander pourquoi vous en avez après mes recherches…

En effet, le temps n’avait en rien entamé sa curiosité et son esprit de chercheur avisé. Devait-il craindre quelque chose ? Etait-elle réellement au service du ministre ? De nombreuses petites questions venaient lui trotter dans l’esprit et il fallait espérer qu’elle n’était pas legilimens sinon il était foutu et peut-être aurait-il droit au sort de la Mort...

Oui elle savait mais malheureusement être chef du bureau des Aurors ne suffisait pas toujours pour avoir accès à toutes les informations. Ce n’était même pas une carte à jouer face aux Langues-de-Plomb du département des mystères. N’ayant trouvé nulle trace des recherches dans le département de la justice magique, Penelope en avait déduit que les documents avaient rejoint la collection du département des mystères parmi un nombre incalculable d’autres secrets qui ne pouvaient être révélés au reste du monde des sorciers. Aussi ne répondit-elle pas à l’homme, lui aussi devait se douter un temps soit peu que ses recherches n’avaient pas fini dans les flammes d’un quelconque sortilège de destruction.

- Il y a fort à parier que vos travaux pourraient receler quelques réponses primordiales pour faire face à la situation inédite qui ébranle le monde de la magique britannique, répondit-elle dans un premier temps. J’ose croire que vous êtes aux faits que les morts marchent parmi nous depuis maintenant deux ans.

Deux ans déjà que le premier sorcier était revenu à la vie avec perte et fracas. Un constat à la fois troublant et étrange tout en même temps. Quant à savoir s’il était au courant, il était tout à fait possible qu’il ne le soit pas, après tout son dossier laissait entendre qu’il avait coupé les ponts avec le monde de la magie dès qu’il avait entamé des études chez les moldus. Penelope n’irait pas jouer ce que les non-maj appellent psy, elle n’était pas là pour ça, elle voulait seulement des réponses.

- Je connais brièvement la teneur de vos recherches, malheureusement je n’ai pas les moyens de me les procurer et vous êtes le seul qui en sache assez pour nous donner quelques pistes.

Puis elle vint à penser qu’en fait elle ne s’était même pas présentée, qu’il n’avait aucun nom ni même la moindre idée de son poste au ministère de la magie. Si bien qu’elle s’approcha de lui pour lui tendre la main :

- Je suis Penelope Norrington, chef du bureau des Aurors et nous avons besoin de vous.

« Nous avons besoin de vous. »

La phrase avait résonné dans l’esprit de Charles comme un coup de fouet. Oublié les autres phrases qu’avait pu prononcer la sorcière, il n’avait plus retenu que la dernière. L’homme se sentait fébrile mais la colère n’était pas loin, elle rôdait dans l’ombre car attisé par les flammes de l’amertume. Pourtant… Il n’avait pas oublié d’être curieux, de se poser des questions. Car dans le fond c’était ça qui lui avait apporté ses plus grands moments de joie et ses pires tragédies. La curiosité était un puissant pouvoir qu’il fallait manier avec précaution si l’on ne voulait pas en subir les conséquences. Mais aujourd’hui… avait-il quelque chose à perdre ? Il n’avait rien à part ce maudit caractère qui était sans doute la raison pour laquelle il était encore vivant aujourd’hui.

Charles resta un instant silencieux, la brise marine venait achever la moindre tentative d’avoir une coupe de cheveux correcte. Pourtant il avait l’impression que le monde autour de lui n’avait plus d’importance, son esprit s’était perdu dans les méandres de ses souvenirs. Il se pensait pas que ce serait aussi douloureux. L’œil terne et triste, il finit par reporter une énième fois son attention sur celle qui se disait être la chef du bureau des Aurors.

- Nous ferions mieux de rentrer, le bord de mer n’est pas un endroit sûr pour discuter, dit-il finalement à l’adresse de la blonde.

Lentement, l’ancien professeur de Cambridge se leva pour quitter le muret de pierres. Le pas manquait d’assurance mais il lui fallait regagner le cottage où il faisait meilleur.

Une odeur de thé noir embaumait la pièce avec délice et volupté. Un mélange floral qui chatouillait les sens et peut-être la seule chose que l’homme savait à peu près préparer sans se tromper. Il déposa la tasse devant la sorcière qui avait pris place à la table de la cuisine. Dehors on entendait le souffle du vent qui faisait grincer le bois et sifflait à travers la toiture fatiguée. Mais Charles n’avait pas à se plaindre, au moins il avait un toit sur la tête et un poêle à bois pour chauffer ses vieux os. Ici, jusqu’à présent, personne n’était venu le déranger. Hélas il semblait que cela allait changer. A son tour il prit place à table et déposa sa canne contre le rebord de cette dernière. A nouveau il observa le silence avant de prendre la parole.

- Qu’est-ce que vous voulez savoir ?

Le changement de décor était bien venu en cette saison. Le bruit de la bouilloire sur la vieille gazinière en était un autre. Malgré la fatigue évidente du cottage et de son habitant, il y avait quelque chose de très chaleureux, à la différence de la grande maison qu’elle avait refusé d’abandonner après le décès de son époux et de leur fille. Pénélope prenait le temps de regarder autour d’elle tous les détails d’une vie d’accumulation et d’utilisations. Force était de constater que l’homme n’était pas enclin à entasser les objets inutiles. A dire vrai il était dans une sorte de minimalisme fonctionnel et il avait l’air de s’en satisfaire. Pour quelle raison était-il ainsi ? Elle n’aurait su le dire, l’expliquer. Peut-être qu’un jour elle le comprendrait ou bien alors il resterait pour elle un mystère non résolut. En tout cas le personnage avait quelque chose d’attachant.

La tasse fut poser sur la table de la cuisine et déjà un fumet délicieux et délicat s’en dégageait. C’était agréable de prendre une tasse du temps sans que ce soit au bureau. Pour l’heure la chef du bureau des Aurors ne regrettait pas d’être ici après avoir suivis la piste de ce Cracmol. Elle le remercia avait d’envelopper la tasse de ses phalanges blanches. A son tour il prit place non sans une certaine raideur dans sa façon de s’asseoir. Après quoi il lui posa la question à laquelle il fallait s’attendre… Que voulait-elle savoir ?

- En quoi consistait exactement vos recherches sur la Mort, répondit-elle, le sujet est vaste et je ne doute pas que vous ayez dû vous concentrer sur quelque chose de concret et de ciblé. Surtout au point d’attirer le Magenmagot sur vous.

Penelope était curieuse, intriguée. Elle ne savait pas réellement à quoi s’attendre, sans doute à quelque chose qui pourrait ébranler ses convictions de sorcière. Lui qui avait vécu la majeur partie de son temps dans le monde des moldus il devait bien avoir une toute autre vision des choses et la sorcière avait envie de l’entendre.